In Memoriam Ruddy Benjamin : VIM ou l’art de la satire carnavalesque*

Written by on 14 février 2024

En ce mercredi des cendres 2024, nous apprenons le décès ce matin de Ruddy Benjamin, président de VIM,  groupe emblématique du carnaval guadeloupéen depuis 20 ans. L’occasion de republier un article d’Axelle Kaulanjan, fondatrice de Caribbean Boss Lady, sur le groupe.

Ruddy Benjamin

Ruddy Benjamin, président de VIM (crédit photo: DR)

Comme à chaque carnaval depuis quelques années, le groupe VIM (au choix :  Very Important Mas, Vayan Inisyé Mas, Volontairement Impliqués Mas ou Voryen Initil é Makoumè), défraie la chronique et fait le buzz. Costumes sexy qui titillent les passions et déchainent commentaires et prises de positions sans nuances, VIM est devenu, depuis 2004, un marqueur culturel et sociétal important du carnaval guadeloupéen contemporain. 

Il y a deux ans, quand VIM avait sorti ses costumes dénudés faits à base de masques chirurgicaux dans un contexte post-Covid 19 encore incertain, nombre d’observateurs ainsi que le public avaient trouvé l’idée géniale.
D’autant plus géniale qu’il s’agissait du premier carnaval autorisé par les autorités préfectorales, mais dans des conditions de restrictions sanitaires qui avaient fait hurler certains : « dans le respect des gestes barrière » (sic !). Il n’en avait pas fallu plus pour que VIM, toujours dans son art de la dérision et de la satire, produise une série de costumes qui a fait réfléchir et discuter les Guadeloupéens.
Mais, il n’en restait pas moins que les corps étaient tout de même dénudés, et la dose de provocation bel et bien présente. Et, en même temps, le groupe s’inscrivait dans sa tradition de costumes sexuellement explicites. Mais là, pas ou peu de détracteurs, puisque la pandémie et les décisions des autorités avaient cristallisé les frustrations sur un noyau de bouc-émissaires communs. Alors, se moquer d’eux et de leur piètre façon de gérer cette crise sanitaire, était jugé de plutôt bon goût.
Là, pas de Père-la-Morale ou de Mère-la-Pudeur pour s’offusquer de la quantité de peau importante que l’on voyait défiler dans les rues de Pointe-à-Pitre…

Cette année encore, le groupe est resté fidèle à son art de la satire carnavalesque qui interpelle avec des costumes tout noirs, simili cuir, transparents pour certains, et qui laissent tout apparaître, qui pour minces, qui pour team gwo vant et cuisses épaisses. Des carnavaliers ont même repris certains éléments de costumes en mode dominatrix et sado-maso (fouets, martinets, ceintures…) d’un défilé passé et dans lequel Ronel Coco, l’influenceur qui parle de sexe sans tabou, s’était fait remarquer avec son concept de «carnaval shatta». Pas besoin d’une explication de texte pour comprendre de quoi il s’agit.
Bien évidemment, cela ne serait plus une satire carnavalesque sans la chanson qui va avec. Cette année encore donc, les paroles provoc sont au rendez-vous, et sont plus que jamais sexuellement explicites. D’ailleurs, le groupe n’hésite jamais à communiquer sa recommandation « Interdit aux moins de 18 ans », à chaque fois qu’il estime que chansons et costumes sont sexuellement explicites, tout en prenant la précaution de défiler tard, à une heure où les enfants devraient être couchés…

Un exutoire pour adultes clairement assumé, mais aussi avec une réflexion poussée accompagnée par le plasticien Antoine Nabajoth qui, dès 2004, a défini les couleurs du groupe concomitamment à la réflexion menée par les fondatrices du groupe et le directeur artistique, Ruddy Benjamin.
Alors, quand les esprits chagrins, Père-la-Morale ou Mère-la-Pudeur font semblant de s’offusquer des défilés et des chansons sexuellement explicites de VIM, mais en même temps s’extasient devant les danseuses du carnaval brésilien qui n’ont qu’un fil pour cacher leur nature, l’on est en droit d’être interpellés par cette contradiction.
Pire, l’on est aussi en droit d’être interpellés par les audios et les vidéos qui circulent sur WhatsApp et les réseaux sociaux à ce sujet : ce grand-père, qui a visiblement oublié le sens étymologique et historique du carnaval, pointant du doigt la jeunesse et déclarant que si c’est cela la jeunesse de Guadeloupe, « nou ja anba dlo, fès anlè é tèt anba », comme si la notion de carnaval provoc était inconnue d’une certaine générationou encore ce jeune homme se filmant, les yeux globuleux comme s’il avait déjà bien abusé d’une certaine substance, et faisant presqu’une apologie du viol en critiquant les femmes qui défilent dans VIM en petite tenue et chantent ces paroles sexuellement explicites, mais qui se refusent à des hommes qui leur font des avances…

A-t-on jamais appelé à violer Coupé Cloué, Hira, Francky Vincent, ou encore tous ces petits apprentis chanteurs de dance hall qui parlent de fesse et de sexe à longueur de chansons ?
À ce titre, l’on rappellera que l’association guadeloupéenne Femmes et Police dans l’Égalité et la Diversité, avait mené une excellente campagne de sensibilisation, intitulée « mon costume n’est pas mon consentement ».
Dans une société qui aime jouer aux faux-semblants, et où les violences contre les femmes,  les enfants et les personnes vulnérables sont légion au quotidien, ces réactions offusquées de personnes qui visiblement ne sont pas des modèles nous poussent à croire, qu’encore une fois, le groupe VIM a réussi son pari : nous mettre face à nos contradictions par son art de la satire carnavalesque.

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*Article originellement paru dans « Le Progrès Social » n°3462 du 27 janvier 2024

Photo à la Une par Philippe Tirolien, ID Line Studio, Mardi gras 2020 à Basse-Terre


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