Yasmyn Camier, c’est notre graine guadeloupéenne d’Oprah Winfrey. Fin 2015, elle lance TalanAnNou.com afin de valoriser les enfants du pays Guadeloupe qui entreprennent et qui réussissent. Son objectif, dès le départ : « valoriser, inspirer, motiver, booster le leadership et développer la confiance en soi ainsi qu’une identité positive ». Un chantier colossal, lorsque l’on connaît les méandres identitaires, managériaux et interpersonnels de notre société Guadeloupéenne postcoloniale qui a, disons-le franchement, parfois tendance à être infanticide. Un an après le lancement de TalanAnNou.com, Yasmyn Camier a déjà réussi son pari, et elle organise le 1erfévrier prochain, la deuxième édition de sa rencontre sur « L’estime de soi pour entreprendre dans la vie ». Portrait d’une jeune personne positive, qui rayonne, et qui a su faire des difficultés rencontrées sur son chemin vers la réussite, des opportunités d’apprentissage.
Avant d’aller plus loin, chers lecteurs, je dois vous prévenir tout de suite que je ne pourrai peut-être jamais être totalement objective en vous parlant de Yasmyn Camier. En effet, la toute première fois que je l’ai rencontrée, elle m’a renvoyé ma propre image, et l’impression qu’elle m’a faite a été marquée dans ma mémoire, comme au fer rouge, tant, à l’époque, le sentiment d’injustice qu’elle exprimait en évoquant des jeunes Guadeloupéens qui entreprennent et qui ne sont pas toujours encouragés au pays, m’avait rappelé mes propres frustrations de jeune professionnelle et de jeune femme entrepreneure. Et depuis cette rencontre, je ne cesse d’être émerveillée par sa force et sa détermination à faire réussir la Guadeloupe. Car, au fond, c’est bien de cela dont il s’agit.
La fougue de la jeunesse transformée en force d’action
Quelles sont donc les circonstances de cette rencontre qui m’a tant marquée ?
10 Octobre 2012. IREA, Maison de l’Afrique à Paris. Je viens de sortir, avec Mylène Colmar, Abécédaire LPK – Clés analytiques et critiques du mouvement, et je suis alors en pleine promo en France hexagonale. Le slameur guadeloupéen Timalo, qui lui aussi venait de publier « Dé Moun », une nouvelle entièrement en créole guadeloupéen, et dont le décor est celui d’une Guadeloupe en pleine mobilisation Lyannaj Kont Pwofitasyon, m’a entraînée dans une présentation conjointe de nos œuvres respectives. Son idée, c’était de comparer et de discuter le traitement journalistique et le traitement littéraire que nous avions réservé respectivement à ce moment historique que furent les 44 jours du LKP en Guadeloupe. Après les discussions de ces « Regards croisés sur le LKP », nous nous prêtons au jeu de la vente signature. Exercice nouveau pour moi. Un peu mal à l’aise, j’essaie d’être disponible et à l’écoute de chacun de ces lecteurs qui, ce soir-là, nous avaient gratifiés d’un débat passionnant de qualité.
A la fin des échanges, la première personne à se présenter à moi est une jeune femme d’environ 25 ans[ . Elle avance vers moi d’un pas déterminé et sûr. Elle arbore des cheveux naturels, rebelles et bouclés comme les miens, en bien plus longs. Elle se plante devant moi et me demande tout de go, comme si je détenais les réponses à toutes les questions métaphysiques de l’Univers : « Pourquoi quand un jeune fait quelque chose, on le décourage toujours ? »
Déconcertée, j’essaie de lui trouver une réponse qui tienne la route alors même que je lui signe un exemplaire de mon ouvrage. A ce moment précis, la force de sa frustration m’atteint comme une onde de choc irrépressible. L’énergie chez elle, est à l’état pur, et je me dis que si cette jeune femme parvient à tailler sa pierre brute, elle fera de grandes et belles choses…i ké on mèt fédanm, on môso fè.
Ensuite, je l’ai suivie sur les réseaux sociaux, et puis, un jour, elle me contacte par mail pour me parler de TalanAnNou.com, et m’invite à parler de mon parcours. Tout de suite, je trouve l’idée formidable, et je suis enthousiasmée. Et lorsque je me rends compte qu’il s’agit d’elle, de cette jeune femme en qui je me suis tant reconnue, mon enthousiasme a décuplé.
Voilà, l’histoire de ma rencontre avec Man** Yasmyn Camier.
Le droit à la réussite en dehors des sentiers battus
Yasmyn, lorsque je l’ai interviewée pour ce portrait, je l’ai découverte une troisième fois. Les premières étant lors de notre rencontre initiale, puis lors d’une première interview que j’ai conduite pour « Le Progrès Social » au sujet de TalanAnNou.com.
J’ai pris la mesure de son parcours et de son engagement d’une autre manière…Presqu’existentielle, voire ontologique, tant son histoire et sa volonté de réussir par-delà les modèles et les stéréotypes m’ont prise aux tripes.
Elevée par une grand-mère, et faisant fi de tous les déterminismes pesant sur les modèles familiaux parfois inédits et complexes, Yasmyn est une brillante élève. Avec un bac scientifique en poche, elle s’inscrit en médecine. Elle rate le concours la première année. La seconde, c’est la bonne, et elle intègre la fac de chirurgie dentaire René Descartes à Paris. Elle continue son bout de chemin et choisit, un peu par défaut, la filière dentaire, sans que la médecine et le paramédical ne soit vraiment sa came. Elle se prépare donc à devenir dentiste, pour le grand bonheur de sa grand-mère qui a déjà même repéré à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le local la jeune femme pourrait installer son cabinet.
Que de plans sur la comète, pour une jeune femme qui, malgré ses aptitudes intellectuelles et sa facilité à tout réussir à l’école, ne se sent pourtant pas heureuse dans ce domaine.
« Prendre dentaire, c’est génial, c’est bien vu des autres…Les deux premières années, c’était essentiellement du par cœur, et la troisième année, j’étais en apprentissage chez un dentiste. A partir de la pratique, j’ai réalisé que cela ne me plaisait pas, que ce n’était pas pour moi. Du coup, j’ai commencé à déprimer, et je n’étais pas heureuse. Je culpabilisais, car c’est une filière, quand tu entres dedans, tu es sûr d’avoir un boulot, et je me demandais comment je pouvais abandonner ça », me confie Yasmyn.
Cependant, Yasmyn persévère, et se prépare à partir en stage à Philadelphie. Sur place, la famille d’accueil qui devait la recevoir ne donne plus signe de vie, et sa fac lui propose des logements hors de prix pour son budget d’étudiante. Elle décide alors de rester à New-York un moment, puis de monter au Canada où elle a de la famille.
Après ces vacances un peu forcées, elle réalise que ce métier n’est pas fait pour elle : « Je n’arrivais pas à me projeter en tant que dentiste. »
A ce moment-là, de retour à Paris, à 22 ans, Yasmyn tombe dans une profonde dépression : « J’arrête dentaire , je ne donne plus signe de vie à personne ni à mes amis, parce que j’ai honte de ne pas trouver ma voie. J’ai honte, parce que j’ai l’impression que la vie de tout le monde est tracée, et que ceux qui ont commencé une classe de prépa ont réussi. Ceux qui ont fait médecine ont réussi, mes amis qui ont fait dentaire ont réussi et sont heureux. Et moi, je ne comprends pas que ce qu’on m’avait dit qui fonctionnerait ne fonctionne pas, et pourquoi je ne suis pas heureuse », me confie-t-elle.
Néanmoins, elle ne baisse pas totalement les bras, et elle décide de transformer le temps passé cloîtrée chez elle en opportunité. Elle s’inscrit à un cursus à distance et obtient une licence de biologie et environnement.
Parallèlement, au niveau familial, pas grand-chose d’encourageant pour Yasmyn : « A ce moment-là, une rupture se crée entre ma grand-mère et moi [ pour qui je représente un échec total. Etre dentiste, pour elle , c’était une réussite sociale…Le jour où je lui ai annoncé que j’arrêtais, elle m’a raccroché au nez », se souvient Yasmyn Camier.
Et, des années plus tard[, grâce au soutien de sa mère et de son époux, après un parcours qui a continué à être riche avec un master en sciences de l’environnement obtenu au Canada, et malgré un poste valorisant pour Yasmyn Camier, sa grand-mère n’a toujours pas « accepté » ce changement de cap, très certainement vécu comme la trahison d’une promesse d’élévation sociale pour la famille. Une charge lourde, surement trop lourde pour une jeune femme à qui l’on n’a jamais demandé si cela pourrait faire son bonheur.
Voilà donc, en 2012, la jeune femme qui se tenait devant moi. Et après avoir fait le tour de ses galères d’étudiante immigrante au Canada[, partie avec une centaine d’euros en poche et sans visa d’étude, mais aussi de la condescendance que la jeune diplômée qu’elle a été a rencontrée en France, sans parler d’un contexte familial parfois difficile, Yasmyn Camier a su garder la tête haute et relever nombre de défis. De toutes ces situations, cette jeune femme a su tirer le meilleur, et elle a surtout appris à développer une capacité de résilience ainsi que des solutions qui forcent le respect.
L’amour du pays et des gens de la Guadeloupe
Trois ans[ après notre première rencontre, Yasmyn Camier a lancé TalanAnNou.com, « un site internet qui présente des talents de la Guadeloupe. »
En fin 2015 elle m’expliquait que « ce projet est né du désir de promouvoir les indénombrables talents de l’île peu (re)connus et de prouver que la réussite est accessible à tous.
Les premiers pas de Talan An Nou furent marqués par le partage d’articles de presse/de blog sur les réseaux sociaux. Il s’agissait de faits positifs, inspirants sur des Guadeloupéens vivant leurs rêves. Chaque article était accompagné du message suivant : ‘Guadeloupe : terre de talents’. En effet, en se basant sur la Méthode Coué à force de se répéter une phrase positive consciemment, on finit par s’en convaincre inconsciemment.
J’ai malheureusement constaté que ce genre de ‘success stories’ étaient insuffisamment diffusées. A l’instar des faits négatifs d’actualité traitant de la violence et des maux de notre société, outrageusement relayés par beaucoup d’entre nous. Ce qui progressivement participe à notre conditionnement mental composé de pensées négatives et limitatives sur notre identité et possible réussite.
Nous avons davantage besoin d’histoires positives pour garder espoir, pour s’inspirer, pour alimenter notre créativité et avancer. Par-dessus tout, il y a d’innombrables talents en Guadeloupe, nous les croisons souvent sans même le savoir…C’est ainsi que mon envie d’aller à la rencontre de Guadeloupéens pour les interviewer et publier leurs histoires est née. Cette idée a fait son chemin dans ma tête durant plus de quatre ans. Un support de livre était initialement prévu cependant, le caractère figé du livre ne me plaisait pas.
Je voulais un projet qui soit plutôt interactif afin de correspondre à notre ère, permettre les échanges et la diffusion de l’information rapidement et gratuitement, notamment grâce aux réseaux sociaux. C’est pourquoi la création d’un site internet avec les interviews des talents de l’île fut la solution la plus adaptée. »
Voilà, l’histoire de TalanAnNou.com, indissociable du parcours de Yasmyn Camier…Man Yasmyn Camier. Je vous demande, chers lecteurs, de retenir ce nom, car je vous prédis que dans quelques années, cette personne extraordinaire sera un pilier pour notre pays Guadeloupe. Depuis Décembre 2016, Talan An Nou présente également des portraits de Martinique et d’Haïti.